La journée normale d’une association hors norme

  Orientation, aide alimentaire, soutien scolaire… Chaque jour, près de 30 bénévoles se relaient à la délégation lilloise de la Croix-Rouge, où une multitude de services sont offert à tous ceux qui le demandent. Une journée au cœur de l’association d’aide humanitaire privilégiée des plus démunis.

 (Publié dans le Croix Rouge Nord Infos Janvier 2013) 

La pièce d’entrée ressemble à la salle d’attente d’un médecin très sollicité. Une dizaine de chaises, toutes occupées. Des affiches sur le mur jaune. Des portes qui s’ouvrent et se ferment au rythme des passages. Sauf qu’ici, les personnes qui attendent ne sont pas malades. Une dame en foulard, la peau mate, long manteau bleu et le regard vague, berce machinalement la poussette de son enfant. À ses côtés, un homme grand, yeux et cheveux clairs, les traits creusés, passeport russe entre les mains. Les posters ne font pas l’apologie de tel médicament contre le rhume. Une biographie d’Henri Dunant, une liste de principe comme l’humanité ou l’impartialité, le tout estampillé d’une petite croix rouge…

Qu’ils soient habitués ou qu’ils soient là pour une urgence, les plus démunis et les réfugiés viennent ici comme une évidence. La délégation Lilloise de la Croix-Rouge Française les accueille par dizaine chaque jour. Elle fournit une multitude de services de prévention, d’éducation, d’orientation et d’écoute à tous ceux qui le demandent. Et cela, 365 jours dans l’année. Plongée dans l’une des journées cette association aux multiples facettes.

_MG_9379

14 h. En ce lundi après-midi de novembre, derrière le guichet d’accueil, les bénévoles reçoivent les « impliqués », terme neutre et universel qualifiant toute personne ayant besoin de la Croix Rouge. Amel, volontaire de 22 ans, note sur une demi-feuille de papier l’adresse des Restos du cœur, du Secours populaire et du service des demandeurs d’asile de la préfecture, puis la donne à Abdelkader, un jeune sénégalais qui vient d’arriver en ville. Juste après, Ana, une mère de famille serbe, demande dans un français approximatif au fort accent slave le courrier qu’elle a reçu aujourd’hui. La bénévole, étudiante en sociologie et présente tous les lundis après-midi depuis deux mois, alterne les « Bonjour ! » d’un même sourire empathique et motivé. « Ici, les gens viennent pour plein de raisons différentes, explique-t-elle, je vois ce que je peux faire pour eux, sinon je les réoriente. »

En tête de liste des demandes : les courriers. La délégation de Lille permet la domiciliation postale à toute personne sans logement stable. Pôle emploi, Sécurité Sociale, Préfecture… 1 200 inscrits, dont 70 % de réfugiés migrants, bénéficient ainsi d’un moyen de correspondance stable avec les institutions. Ensuite, les demandes d’informations des nouveaux arrivants sur le territoire. Ils ont quitté leur pays pour des raisons économiques ou politiques. Ils ne connaissent pas ou peu le français, et ne connaissent rien de Lille. Spontanément, ils viennent à la Croix-Rouge, car « c’est un repère qui existe déjà chez eux. » Ils y trouvent de l’écoute, des adresses, un plan, l’assurance d’une porte ouverte s’ils sont dans le besoin. Suivent enfin ceux qui ont besoin d’aide alimentaire, de traductions de documents officiels, d’aide administrative… Services disponibles selon un emploi du temps hebdomadaire strict.

« C’est multidisciplinaire, on apprend plein de chose » décrit Amel. Elle s’est engagée car même si elle ne trouve pas de job étudiant, « ce n’est pas parce qu’on est dans le besoin que l’on ne peut pas aider les autres ». Parfois, c’est des demandes plus « insolites », ajoute Harouna, seul salarié de la maison. Cet Ivoirien d’origine s’occupe de la sécurité. Sa présence est devenue nécessaire depuis 3 ans avec l’agressivité grandissante de certaines communautés. Mais, comme tous, il s’occupe avec enthousiasme de l’accueil et répond volontiers au téléphone. « La semaine dernière, on nous a appelé pour nous demander si c’est la Croix-Rouge qui s’occupe des secours sur le concert de Johnny Hallyday », raconte ce gabarit poids lourd à l’accent africain, avant d’être interrompu par des cris et des injures de l’autre côté du mur. Un maghrébin d’une trentaine d’années, en jogging et basket, se fâche de ne pouvoir retirer le courrier de son épouse. Celle-ci est sous tutelle de la Croix-Rouge suite à une demande de la préfecture. « C’est pas possible la lourdeur de l’administration française, que des papiers tout le temps des papiers » scande-t-il, avant d’être calmé et emmené dehors par Harouna. Dans la salle d’attente, Amel rassure une dame, tremblante, glissée dans un coin de la pièce. Ce genre d’événement reste malgré tout rare.

_MG_9374

15 h 30. En face de l’accueil, une porte s’ouvre sur le bureau de Françoise, chargée de la gestion du pôle alimentaire. Toute personne dans le besoin peut demander à être inscrite sur une liste d’aide, et récupérer ainsi un colis tous les mois. La responsable les reçoit à chacun de leur passage pour un entretien individuel. Condition nécessaire pour délivrer le pack afin, selon elle, « de faire le point sur la situation » de l’impliqué, « de l’écouter et de maintenir un certain niveau de confiance. » Ils sont ainsi « encouragés » à sortir de leur situation difficile, et « aiguillés dans leurs démarches personnelles ». Le sésame obtenu, ils longent le couloir débouchant sur la banque alimentaire.

Petite salle blanche, climatisée, où se succèdent étagères et réfrigérateurs. Benjamin, blouson sur le dos, est là pour les recevoir, derrière son comptoir équipé d’un ordinateur et d’un lecteur de code-barres. Ce sont les mêmes questions qui reviennent. « Vous avez de quoi faire la cuisine chez vous ? Mangez-vous de tout ? Vous êtes une famille de combien de personnes en comptant les bébés ? Avez-vous amené un sac de congélation ? » Soupe, huile, riz, conserves… Les denrées mises dans les sacs sont sélectionnées en accord avec le bénéficiaire, et chacune d’elle est enregistrée dans le système. Le stock est géré par le siège à Paris. « Cela permet de bénéficier de subventions humanitaires Européennes, justifie Benjamin en scannant les articles, et de savoir à n’importe quel moment les quantités alimentaires exactes disponibles en cas de catastrophe. » Le bénévole de 21 ans est présent depuis 2 ans. Il est satisfait « du bonheur » qu’il arrive à donner en « ne faisant pas grand-chose », lui qui « rêve de travailler plus tard dans l’humanitaire. » Avant de fermer le paquet de Laëtitia, il propose en plus des steaks et des cheeseburgers congelés. Les yeux de la jeune femme, enceinte de jumeaux, s’illuminent. « Ça serait super, ça fera plaisir aux enfants, ils ne feront pas long feu. »

_MG_8827

17 h. Les couloirs se vident. Les volets de l’accueil se ferment. Mais la maison Croix-Rouge ne s’endort pas pour autant. Les bénévoles de jour saluent ceux qui arrivent pour d’autres activités. Julie, professeur de mathématiques à la retraite, vient tous les lundis soir et les mercredis matin pour de l’accompagnement scolaire d’enfants entre CP et CM2. Dans une petite salle, où sont affichés l’alphabet et les tables de multiplication, elle suit jusqu’à une vingtaine d’enfants sur toute l’année. Cette aide au devoir a toutefois une spécificité. « Nous plaçons les parents comme acteurs et partenaires du projet scolaire de leur enfant » expose-t-elle. Certains d’entre eux ont des problèmes avec la langue française. Leur proposer également des cours de français, développer des actions de « parentalités », ou juste aider à rétablir le dialogue entre parents, enfant et école si nécessaire permet une meilleure intégration dans la société. « Cela les valorise et les soutient dans leur rôle. »

18 h 30. Les lumières s’allument à l’étage. En haut du petit escalier derrière l’accueil, le bureau des secouristes s’éveille. Car la délégation de Lille c’est aussi une section urgence et secourisme. Elle forme chaque année des centaines de personnes aux gestes de premiers secours, et tient des dizaines de postes de secours lors de manifestations diverses. Veste polaire grise et orange sur le dos, David prépare la salle de réunion où il recevra dès 19 h de potentielles recrues secouristes. La journée, il est commercial. Le reste du temps, il est chargé du recrutement et de l’animation des équipes. « Nous sommes là principalement en soirée en week-end, en dehors des heures de boulots » explique-t-il en posant des prospectus sur la table. Le soir, David s’occupe de l’administratif et du recrutement, « car on a toujours besoin de plus de monde », et tous les week-ends, il est en poste de secours. « Je ne sais pas le nombre d’heures passé à la croix rouge, mais on est passionné, on ne compte pas. »

La réunion se termine peu après 21 h. Salle après salle, les lumières sont éteintes, les portes sont fermées. Juste pour quelques heures. Dès le lendemain matin à 9 h, de nouveaux bénévoles seront là pour reprendre le service. La boutique de vêtement à prix bradé qui rouvre ses portes et qu’il faut préparer, le seul écrivain public de la métropole de permanence tous les mardis… Ce sont près de 200 bénévoles qui se relaient chaque semaine en offrant leur temps et leur énergie au bon fonctionnement de la structure humanitaire. Cette association d’utilité publique a pour vocation de combattre l’injustice et la misère depuis plus de 70 ans maintenant.

_MG_5837

Les derniers volontaires s’en vont. « Au revoir, à bientôt ». La même phrase répétée toute la journée aux démunis passés ici, et qui repasseront probablement bientôt.

Ismael BERKOUN

Hey! Pour dire ce que tu penses, c'est ici!