À Lille, des Roms squattaient la Bourse du travail, et tout le monde s’en foutait.

Maintenant que toute cette histoire est finie, je ressors un entretien qui n’a pas été publié, effectué la veille de Noël. Vous pourrez retrouver l’ensemble des infos dans un article que j’ai publié sur StreetPress.

La bourse du travail de Lille

La bourse du travail de Lille

Une centaine de Roms sont installés dans les locaux de la Bourse du Travail de Lille-Fives depuis le lundi 28 octobre, après le démantèlement de leur camp à Villeneuve-d’Ascq, la ville voisine. Altruistes, les syndicats acceptent de les héberger « une nuit ou deux », histoire de trouver mieux. Et ils sont là depuis 55 jours.

J’ai rendu visite aux invités et à leurs hôtes, histoire de prendre la température et de comprendre qu’est-ce qui peut faire durer cette crise si longtemps. Devant le bâtiment, je m’attends à trouver des 4×4, des caravanes ou de voitures en pièces détachées, comme on me le répète souvent. Alors que là, un prêtre distribue des paquets de couches aux familles. Beaucoup d’enfants jouent en nous faisant de grands sourires ; de jeunes Roms assis par-ci par-là, café chaud à la main, qui me disent bonjour. A l’interieur de la petite salle polyvalente, une centaine de matelas et de couverture sur le sol.

Je me suis installé avec Lazar et Caroline pour discuter. Ce jeune couple de 19 et 20 ans, devenu leader du groupe grâce à leur bon français, attend leur deuxième enfant. Autour d’un café dégueu du distributeur, ils m’ont raconté comment ça se passe pour eux ici, ce qu’ils attendent de la préfecture et de la France, et ce qu’ils ont prévu de faire après les fêtes.

Lazar, 22 ans, devenu grâce à son relatif français le porte-parole du groupe

Lazar, 22 ans, devenu grâce à son relatif français le porte-parole du groupe

Vous êtes à la Bourse du travail depuis deux mois. Vous voyez une sortie de crise ?

Caroline : On a fait des manifestations, on a cherché des solutions… mais rien. La préfecture a fini par nous donner des 50 places pour les enfants et les malades, mais on n’était pas d’accord. Si on avait accepté, ils auraient expulsé ceux qui seraient restés. On a refusé : on a tous besoin d’un logement, et on est tous unis.

Ca a du vous changer d’un coup, comme ça, de vous retrouver ici.

Caroline : Oui ! Surtout qu’on a tout perdu, ils ont pris tous nos habits et nos affaires avec les caravanes. Et pour les enfants aussi. Ils étaient presque tous scolarisés quand on était sur le camp. Ceux qui ne l’étaient pas suivaient des cours dans une « caravane-école » que les étudiants de l’université avaient mis en place. Mais dès qu’on a été expulsé, tous les dossiers ont été bloqués, et on n’a pas pu les remettre à l’école. Et la caravane école confisquée.

Ils sont cools avec vous les syndicalistes ?

Caroline : Quand la police nous a expulsé, on n’avait nulle part où aller. Ils nous ont tout de suite soutenus, et même maintenant c’est toujours « on ne vous laisse pas tomber ». Ils se battent pour nous. On est familiarisé avec eux. Je sais qu’il n’y a pas tous les syndicats avec nous. Mais ceux qui ne veulent pas de nous ne nous embêtent pas.

Elle vous demande quoi la préfecture au juste ?

Caroline : De mettre à jour nos papiers et de récupérer nos passeports, pour pouvoir demander l’autorisation de travailler et récupérer nos affaires confisqués. Il y a monsieur Vlad [Vladimir Nieddu, secrétaire régional du syndicat Solidaires, NDLR] qui s’occupe d’informer le préfet de nos avancés. On avait jusqu’au 22 décembre pour récupérer nos caravanes, mais ils ne nous les donnent pas si on ne leur dit pas où on va avec. Nous on n’a pas trouvé de place. Si on se met sur un parking ou quelque part, ils vont venir nous expulser encore. Ils sont au courant tout de suite où on s’installerait. En plus, ils ne veulent pas que ça soit à Lille. Et puis on fait attention. Elles sont dangereuses, y a un petit garçon qui est décédé brulé dans un camp pas loin, on a peur pour les enfants maintenant car on nous aidera pas sur un camp.

Vous aimeriez quoi maintenant, pour arranger votre situation ?

Lazar : Déjà, que toutes nos demandes d’aides sociales s’arrangent, car elles sont bloquées au niveau du département du Nord et des CAF, depuis longtemps. C’est parce qu’on a pas de domiciliation fixe, car on nous appelle « nomade » ou « vagabond »… Alors que la première étape d’intégration c’est le logement. Même provisoire, le temps de trouver du travail et de stabiliser ma famille et ma situation financière. En tout cas, on attend le 1er janvier 2014 maintenant [Fin des mesures restrictives sur l’emploi des roumains et de bulgares, NDLR]

Caroline : On a besoin de quelque chose pour s’installer ici. On est ici légalement, on est de l’Union européenne, on a le droit de faire quelque chose. Ils nous ont interdit de faire la manche, ou de faire des choses comme ça. Et ils ne nous donnent pas de travail. Comment tu veux que je fasse ma vie aussi ? J’ai mes enfants, je dois m’occuper d’eux. On peut pas rester comme ça sur la merde. Au départ, on nous a dit : « Parlez français, et on fera quelque chose pour vous. » Regarde : je parle français, j’ai 19 ans et bientôt deux bébés, et j’ai rien du tout. Et il n’y a rien qui change. Pas de travail, pas de logement, pas de scolarisation. Comme en Roumanie.

Une mère rom et son enfant, accompagnant d’une étudiante venue les soutenir, lors du sit-in devant la Mairie de Lille le 30 octobre

La Roumanie, parlons-en. Vous êtes arrivé quand et pourquoi ?

Ça fait six ans maintenant. On habitait près de Bucarest, dans un bidon ville. On a décidé de venir car il y a encore plus de racisme envers les Roms en Roumanie qu’en France.

Ha bon ? Ce n’est pas ce qu’on entend d’habitude. Depuis quand ce racisme ?

Lazar : Moi, j’ai toujours connu ça. Après la chute de Ceaușescu, les « Roumains » ont récupéré tout ce qui leur avait été enlevé pendant le communisme. Depuis, le pays est en recherche de démocratie, avec de socialisme. Mais je ne sais pas pourquoi on déteste autant les Tsiganes. Là-bas, on a aussi des expulsions de camps, comme ici. Mais en beaucoup plus violent. Si les choses étaient différentes en Roumanie, on ne serait pas venus en France et on serait resté chez nous.

Caroline : C’est un problème politique : le président de Roumanie n’aime pas les Tsiganes. Tu comprends, c’est le président ! Il est d’origine roumaine lui, et donc seuls les Roumains sont « bien ». Il faut accepter les différences entre Roumains et Tziganes, ce qu’ils ne font pas là-bas.

Comment ça se traduit au quotidien pour vous ?

C’est aux roumains qu’on donne les travails et les logements. On n’a pas le droit d’avoir de logement, on ne peut que très difficilement travailler. Pour installer une caravane quelque part, on est obligé d’acheter le terrain, ce qui est impossible. Et ils ont accès très facilement aux aides et aux soins de santé. Nous, ils nous diront qu’on a rien, nous mettront dehors de l’hopital, et il y en a déjà qui sont morts comme ça. Tu n’existes pas en Roumanie quand tu es d’origine tsigane. On est considéré comme des restes.

La majorité des enfants du camp sont scolarisés, mais ne peuvent retourner à l’école dans les conditions actuelles

Et vous allez passer Noël ici, dans la salle polyvalente de la Bourse du travail ?

Lazar : On n’a pas d’autres solutions. On reste là, on attend. On a porté plainte contre le préfet qui viole nos droits et les lois, et ça va être au tribunal la semaine prochaine [les 23 et 24 décembre, NDLR]. Voilà. Sinon, tu penses que Jean Marie Le Pen va vraiment payer son amende de 5000€ ?

Moi j’en sais rien. Je lui demanderai si je le croise.

Lazar : Moi je propose qu’il paye 5000 euros par Roms discriminés. Ça serait plus juste.

Les tentes où ont dormi les Rroms les premières nuits à la bourse du travail

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Sinon, pour rappel, on les avait filmé ICI et photographié ICI

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