Roubaix, ville de tous les clichés?

La Caf de Roubaix

La Caf de Roubaix

Le jeudi soir a toujours été le moment où mon père m’obligeait à m’installer devant son émission préférée, Envoyé Spécial. Le gosse que j’étais flippait grave sur la musique glauque et les personnages flippants de l’ancien générique. J’avais déjà ces images en tête quand l’émission du 09 janvier démarrait. Je me décidais à regarder concernant une polémique commencée en début de semaine, bien avant la diffusion de l’émission.

Dans tous les programmes télé parus la semaine dernière, le premier reportage de l’émission s’appelle « Roubaix : le portrait d’une France sous Assistance », et présente trois semaines en immersion à la Caf de Roubaix. Il a suffi de ce titre, relayé par la presse régionale, pour provoquer le ras-le-bol des Roubaisiens sur l’image de la ville décrite dans les médias. Des mouvements spontanés apparaissent sur Facebook appelant au boycott de l’émission, et relancent l’éternel débat de la vision « cliché » qu’ont les journalistes parisiens sur la Province, en particulier sur le Nord. Dès le lendemain, le titre et l’accroche du reportage ont changé sur les sites de France Télévision, pour devenir « La vie sur un Fil ». Car officiellement, selon la réalisatrice du reportage, le titre d’origine « n’était que provisoire et destiné à la presse »… Toute une histoire.

Ambiance électrique donc autour de la CAF de Roubaix ce jeudi soir. Car oui, Roubaix serait la ville la plus pauvre de France, où les entreprises coulent les unes après les autres depuis le siècle dernier, comme le prouve l’annonce du plan social de La Redoute, dernier fleuron de l’économie roubaisienne d’antan. Mais est-ce une raison pour toujours en parler de la même façon ? Nous sommes allés prendre la température dans le centre de la ville après la diffusion, histoire de savoir si oui ou non Roubaix est une ville d’assistés, si la CAF est le carrefour de la pauvreté et si les journalistes exagèrent vraiment sur les clichés quand ils parlent du Nord.

L’émission ici : http://www.france2.fr/emissions/envoye-special/la-vie-sur-un-fil_159806

La Caf un lendemain de reportage

*Par souci de discrétion, Certaines personnes n’ont pas voulu apparaitre en photo et les prénoms ont été changés

Yamina, 23 ans, gestionnaire administratif en intérim, Lommoise*
Quand tu vas à la Caf, tu vois France sous assistance ?

L’assistance, c’est péjoratif. Je ne suis pas une assistée et je refuse de l’être. Je suis française, et je considère être aidée, c’est tout.

Tu as combien d’allocations ?
Bah je travaille en intérim, donc mon nombre d’heures travaillée change en permanence. Les bons mois, je gagne 800€. Quand j’ai beaucoup moins, le Pôle-emploi complète un peu. Heureusement, j’ai l’Aide au logement pour mon loyer, et des aides ponctueles. Sinon je ne m’en sortirais pas.

Ça t’a fait quoi de voir la Caf de Roubaix dans le reportage ?
De toute façon, à chaque fois qu’on parle de Roubaix dans la presse, c’est pour donner une image négative. Et là, ce reportage va renforcer cette vision. Pourquoi on n’a pas vu des gens de la Caf de Neuilly ou de Nanterre ? Eux aussi ce sont des assistés !

Patrick

Patrick

Patrick, 64 ans, ancien technicien dans les travaux publics, licencié économique, Wattrelosien
C’est comment à un guichet de la Caf de Roubaix?
Je suis allocataire moi, mais je n’y suis pratiquement jamais au guichet. Tous mes papiers sont à jour. Les gens font pas leur papier dans les temps, c’est peut-être ça leur problème, à ensuite devoir courir des heures aux guichets. Ils sont peut-être pas assez aidés. Je dis bien « aidé », pas assisté.

Ha, il y a une différence.
Oui ! Ils ne sont pas assez aidés dans leurs démarches. Faut bien leur expliquer leurs droits et ce qu’ils ont à faire pour y prétendre. À force de leur dire qu’ils sont assistés, ils pensent que c’est à nous de faire les démarches à leur place.

Tu as déjà été témoin de violence à la Caf ?
Ouais, une fois, y a un mec qui était là avec son épouse, il a commencé à agresser une conseillère. Je lui ai dit « C’est pas comme ça que tu régleras tes problèmes, il faut discuter ». Et sa femme me sort qu’il est violent et que c’est pour ça qu’elle l’accompagne. J’ai calmé le jeu, et le conseiller m’a remercié par la suite, car il savait très bien qu’il allait se faire démolir.

Abdelkader à gauche - et son mysterieux ami

Abdelkader à gauche – et son mysterieux ami

Abdelkader, 52 ans, éducateur, roubaisien
La Caf, c’est vraiment violent comme monde ?
C’est tout le système, c’est l’organisation qui fait que les gens deviennent agressifs à la Caf. J’ai été allocataire, il y a bien longtemps. Un jour, ils m’avaient radié, sans raison. J’ai un peu pété un câble, j’ai menacé d’occuper les lieux, car je ne pouvais plus payer mon loyer, ni rien. La situation s’est débloquée au calme, car ils m’ont écouté.

Aujourd’hui, on peut encore faire ça ?
Ils auraient appelé la police direct, et ils ont pour consignes « pas de cadeau ». Et comme les gens sont dans une grande précarité, ils n’ont plus rien à perdre.

Et alors, ce reportage, tu en as pensé quoi ?
Les choses dans l’administration ne sont pas si belles que ça, et si simples. Je ne l’ai pas trouvé trop agressif à l’égard de Roubaix et de ses habitants, c’était une crainte. Mais il est assez objectif.

Tu as l’habitude de regarder Envoyé Spécial ?
Bah oui, régulièrement. Mais les reportages sont dignes de la réputation de l’émission. Une fois, ils nous ont fait un reportage sur les femmes battues, et ils sont allés jusqu’à Gaza pour en trouver. Comme si il n’y en avait pas assez en France.

Debat public organisé à Roubaix

Debat public organisé à Roubaix

Marion, 25 ans, employée à la Caf de Roubaix*, Lilloise
Tu en as pensé quoi du reportage: réaliste ou pas?

Le reportage en lui-même est très réaliste de notre quotidien… La précarité est très grande à Roubaix. Le public est vraiment très difficile, les schémas familiaux sont atypiques est stupéfiants parfois. Je l’ai quand même trouvé soft, parfois les gens sont très violents verbalement

Pour toi, avec ce que tu vis tous les jours, la France est sous assistance?
Je ne sais pas si la France est sous assistance, mais Roubaix oui. Ça dépend quand même des régions. Mais de nombreux Français ne pourraient pas vivre sans la caf… si les allocs disparaissent, toute la société s’écroulerait.

Comment tu le vivrais si un jour tu te retrouvais derrière le guichet pour des allocs?
Je ne sais pas comment je le vivrais… Mais je sais que je ne serai pas jugée par la personne en face de moi. On peut tous se retrouver de l’autre cote malheureusement. Même toi.

Ha bah merci de me foutre les jetons…

Aissa

Aissa

Aissa, 52 ans, fonctionnaire, Roubaisien
Tu vois une note d’espoir dans l’existence de la Caf toi ?
Mais c’est la réalité : tout n’est pas perdu. Heureusement qu’il y a l’humanité de la Caf, des associations qui travaillent autour d’eux… Sinon les gens seraient perdus et démunis.

La France, elle est sous assistance ?
Je suis partagé sur cette question. Je trouve qu’on en fait un peu trop dans l’assistance. On devrait plus aider les gens à s’en sortir sans les assister. Les forcer à faire des formations par exemple, et leur en faciliter l’accès, car pour certains c’est très difficile d’y entrer.

Tu t’imagines un jour au guichet de la Caf demander des allocs ?
Ça serait terrible pour moi d’en arriver là. Mais bien sûr, je ne cracherai pas dessus. Pour pouvoir survivre, j’aurai besoin d’être aidé. Mais m’aider seulement une certaine période. Pas tout le temps. Juste me donner les moyens de m’en sortir par moi-même. Aider tout le temps, ce n’est pas la solution.

Leila

Leila

Leila, 40 ans, Femme au foyer, Roubaisienne
Tu penses que la mobilisation des Roubaisiens contre ce titre a servi ?
Oui, c’est clair. Il a été radouci par rapport à ce qu’ils annonçaient. Même dans l’accroche, il parlait de la violence au guichet et ils nommaient clairement Roubaix. Elle n’est plus la même là.

Tu crois possible de remonter un reportage de cette longueur en 2 jours ?
Le fond a dû rester le même. Mais ils ont dû couper quelques-unes des images. Peut-être la voix off aussi. Mais le tout continue de surfer sur les clichés de l’assistanat et la pauvreté.

Parle m’en : quels clichés alors ?
Ils annoncent au début de l’émission « agressivité, pleurs, violences, tentative d’immolation », et ils enchainent avec « c’est à Roubaix ». J’ai jamais entendu parler de tentatives d’immolation à Roubaix, ou même dans le Nord. Puis toujours les mêmes termes… « La honte, la gêne, la tristesse… » Il y a un mois, c’était pareil dans un reportage de W9 sur l’insécurité.

C’est quoi le Roubaix que tu aurais voulu voir dans le reportage ?
C’est toute la culture qu’on retrouve ici : la braderie de l’Art qui attire des milliers de visiteurs, le magnifique musée de la Piscine, 2e de la région, le grand parc Barbieux, la salle du Colisée… C’est ça Roubaix.

Debat public organisé à Roubaix

Debat public organisé à Roubaix

Juliette, 28 ans, Chomeuse*, roubaisienne
Tu es allocataire depuis longtemps ?
Ça va faire cinq ans. Après mon diplôme, j’ai bossé un an, j’ai eu un enfant, et je n’ai jamais retrouvé de travail depuis.

Tu te considères comme une assistée ?
À la fin, c’est ce qu’on finit par te faire croire. À force de venir au guichet quémander, de ne vivre qu’avec leurs allocations sans trouver de travail, ni d’être indépendante, on se sent assistée. Et l’ambiance politique des dernières années n’aide pas : ils mettent de plus en plus tout le monde dans le même panier. Dès que tu as les aides depuis un moment, tu es un fraudeur.

Donc pour toi il n’y a pas de fraudeur ?
Bien sûr que si, mais comme partout ! Des fraudeurs, il y en a en politique, dans les entreprises aussi. C’est là-bas qu’il faut les chercher, pas faire culpabiliser ceux qui n’ont pas le choix de survivre avec la Caf.

Abdelali

Abdelali

Abdelali, 25 ans, jeune diplômé, Roubaisien
Le reportage ne t’a pas trop dégouté de ta ville ?
C’est un constat de ce qui se passe. On y a vu une image neutre de Roubaix : des gens qui essayent de s’en sortir, d’autres qui n’y arrivent pas. Ils étaient plus virulents à la base.

Ils ont changé le reportage par rapport à ce qu’ils avaient prévu, au départ tu penses ?
J’en suis sûr ! Le titre d’origine montrait les envies du reportage de casser les Roubaisiens encore une fois, l’accroche sur internet aussi.

Et donc finalement ils ont montré une vision gentille sans fraudeur roubaisien.
Bien évidemment, il y a des erreurs des deux côtés du guichet. Mais j’ai été étudiant boursier, donc on a tous pu à un moment percevoir des allocs. Et bien sûr qu’il y a des fraudeurs. Mais il ne faut pas se tromper de cible et trouver ceux qui profitent vraiment du système.

Tu t’imagines y retourner à la Caf ?
Mais les allocs, ça reste un droit. Si je n’avais pas le choix, bien sûr que j’irai.

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