Lettre à la belle

A quai...

(Ecrit au printemps 2011)

Ma Belle Amie,

Étrangement, depuis que tu es partie, je n’ai plus peur. Je suis assis là, à regarder les gens passer. Seuls, main dans la main, se faisant la gueule, pensant à leur misérable vie instantanée sans imaginer le but final de tout ça… Ils n’ont aucune idée de ce qui les attend. Parfois je les envie, parfois ils me font de la peine.

Je vois la vie autrement, depuis que tu es partie, je n’ai pas peur. Te souviens-tu, lorsque j’étais assis au bord de cette falaise, les pieds pendant ? Tu m’as regardé droit dans les yeux, me demandant de réfléchir, me questionnant sur le chemin parcouru et la voie que je voulais prendre ? Ce jour-là, je ne t’appartenais plus. Pas après ce que tu m’avais fait. Et puis je t’avais dit que je me débrouillerai. Face à la mort, nous nous rappelons l’autre perception (trop longtemps oubliée) de l’espace et du temps, que ça ne devait pas être si difficile que ça, que j’avais tenu des années sans toi et que j’avais largement le temps de me réhabituer à la vie loin de toi, etc. Je m’étais levé, t’avais serré dans mes bras une dernière fois, puis avais fait un pas. Depuis je ne t’ai pas revu, et je m’en porte bien.

Sans toi à mes côtés, brusquement, je n’ai plus eu besoin d’avoir peur. Nous ne sommes que des poussières d’étoiles dans un temps géologique infiniment long, une étincelle éphémère au milieu de toute cette galaxie souvent trop compliqué. Quand je vois ces gens, certains assis pensifs au bord de la fontaine, où on a passé tant de temps à se disputer toi et moi, d’autres à courir vers le métro, où on a passé tant de temps pour aller au boulot, ou en rentrant de cuite, je me demande comment les aider, comment leur faire comprendre que tu n’es nocive que lorsque tu es présente. Qu’une fois parti, tu n’es juste qu’une motivation d’un meilleur devenir, d’une meilleure vie trop courte pour être vécu humainement. Tu deviens la raison d’une prise de conscience de tous ces échanges de corps et d’esprit imprévisible nourrissant aussi bien la chair que l’âme. Ton absence remet en perspective la vision de cette société chronophage trop occupée à nous sucer la moelle par le trou du cul et nous faisant courir encore plus vite pour oublier la douleur de notre petite personne, nous empêchant de nous intéresser à cette fleur qui pousse en face de l’appart, ou à cette jolie femme qui pleure en fumant une cigarette assise sur le banc attendant un bus qui n’est peut-être jamais venu… Tu te souviens de ce jour-là ?

Tu ne m’as pas laissé aller lui parler, arguant le départ du dernier tram, alors qu’elle n’attendait peut-être qu’un mot, qu’un geste, qu’une lueur d’espoir en l’Humain… Ha mais oui, le profit que tu engendres, les stock-options que tu possèdes dans le « global business and entertainement système« … Tout cela te force à nous rappeler que le temps, c’est de l’argent, c’est ton argent, et c’est vers notre fin que tu nous mènes, sans qu’on ait le temps de nous en rendre compte. Et puis, grâce à la sainte trinité Publicité-Compétition-Inhumanité, tu t’insinues par tous les pores de notre jolie descendance immaculée, où tu grandis patiemment tel un virus qui veille… Telles nos belles lois de l’hérédité nous forçant à porter le fardeau de l’inéluctable chaos qui se reproduit encore et encore…

Depuis que tu es partie, Chère mélancolie, certes, je pense mourir demain. Ou après-demain, je ne sais pas. Mais je n’aurais peur. J’ai découvert que la mélodie de la vie ne peut s’entendre que lorsque nous sommes au milieu de la foule, au milieu d’un parc d’enfant, ou en s’asseyant avec un sans-abri jouant l’Hexagone de Renaud au coin de République. Te souviens-tu, on avait des rêves ? D’altruisme, de bonheur simple et d’amour d’une nuit… Tu te souviens quand tu me les as pris ? Et bien je les ai récupérés. Et j’attends mon départ imminent vers le pays des merveilles, celui où rien n’est construit et seuls mes rêves attendent d’être réalisés. Une terre vierge de tout passé, de toute tentation égocentrique, celle où l’âme atteint des sommets contrairement à ton compte en banque. Un pays de beauté naturelle, d’échange, de découverte de soi et du sacrifice. Et le pire c’est que sans ton passage dans ma vie je n’y serais jamais parvenu. Merci. Mais tu ne me manques pas.

 

Je pense à toi, Il fait beau ces temps-ci, les terrasses sont vides…

Le soleil brille pour tous, mais peu le remarque.

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