Les raisons de mon retour

« La douleur est une chose étrange. Un chat tue un oiseau, un accident de voiture, un incendie… La douleur te tombe dessus, BANG, et voilà qu’elle s’assied sur toi. Elle est réelle. Aux yeux de n’importe qui, tu as l’air d’un imbécile. Comme si t’étais soudain devenu le dernier des débiles. Et c’est sans remède, à moins de connaître quelqu’un qui comprenne ce que tu ressens et qui sache comment t’aider. »

Bukowski, Women

Trois ans plus tôt, fin d’après-midi de printemps, cent vingt km/h sur l’autoroute quittant le royaume de Belgique. Au loin, un camion se couche et glisse sur les voies, balayant tout sur son passage. Les voitures l’évitent et se rentrent dedans. J’approche, je m’arrête. Je sors mon téléphone, plus de batterie. Dans les deux voitures, les airbags sont sortis. Des dames crient. Des enfants pleurent. Dix mètres devant, le chauffeur du camion gesticule pour essayer de sortir de la cabine retournée. Derrière les containers, une dernière auto écrasée de moitié. Un bras dépasse du morceau de la vitre côté conducteur, remplacée par une partie de l’habitacle. Du sang coule au bout des doigts immobiles. Les miens frissonnent au contact de la chaleur rouge. Plus de pouls. Je parle. Pas de réponse. Je tente d’aller ouvrir la porte passager. En voyant dans la voiture, je comprends. À cet instant, je sus que, de ma vie, jamais plus je ne serai aussi impuissant. Aussi inutile. Regarder, ne rien faire, ne rien dire. Garder ça pour soi et laisser l’irréparable se reproduire. A quoi bon ?

Un an plus tard, un soir d’été, deux mille kilomètres de là. Un événement, un théâtre de verdure aux gradins surpeuplés. Cinq mille personnes crient de joie, rient à l’unisson. Le mitraillage de flashs sous la lumière de la lune donne une nouvelle aura à la mer, qui s’étend juste derrière la scène. Le stress d’une longue organisation s’envole. La peur de tout foirer et de décevoir a été refoulée durant des semaines. Et là elle se déverse en flots continus sous ce palmier, pendant le tonnerre d’applaudissement final derrière le mur. Ce soir-là, j’avais ce que je voulais pour mon quotidien : Exister pour transmettre aux gens. Leur apporter ce qu’ils désirent, ce qui leur manque. Une info, un concert, un savoir. L’émancipation de la pensée et de la liberté en le considérant comme ce qu’il est. Humain. Unité. Tout.

Il y a trois mois, café citoyen de Lille. Un sms, numéro inconnu. Anicroche violente en cours. Deux stations de métro plus loin, quinze cars de CRS. Deux cents agents, dont le GIPN. Pour expulser à la demande de l’archevêché une centaine de sans-papiers, en grève de la faim depuis un mois, assis sur le sol d’une église. Mon appareil avale goulûment, vocifère face aux casques. Ils sont faibles, traînés au sol, déposés au milieu de la rue. Les journalistes passent, puis repartent dormir. Deux heures plus tard, fin d’urgence. Assis sur une place, ils décident de se rendre à l’hôpital en métro, sous des couvertures, accompagnés de leurs soutiens. Chacun leur tour, descendant tremblant les escaliers qui mènent aux tréfonds. Et plus personne pour témoigner. Pour transmettre au monde ce qu’il se passe dans le pays des Droit de l’Homme et des Lumières. Mon appareil ? Plus de jus…

Ce soir. Une toute petite rue pavée. Une cathédrale, une placette devant et une Porsche garée en son centre. Un peu plus loin, une fontaine. Une ville complètement inconnue. C’est assis à cet endroit, ce soir, que je me suis souvenu. Tout m’est revenu, depuis le début. Et surtout, les raisons qui m’avaient amené là.

, loin de chez moi. Ayant perdu certains que j’ai aimé. D’autres qui ne reviendront jamais. Vouloir tester ce qu’est ce fameux « ailleurs » dont tout le monde parle tant. Et passer mes journées à lire, relire, comparer, analyser, écrire, téléphoner, réécrire, couper de 5 lignes… des infos sur les meurtres et les viols de notre beau pays. Une joggeuse par ci… Un gosse dans un caddy par là… Jamais je n’aurais cru qu’il y avait autant de meurtre chaque jour !! Ô grand pays des communicants !! Et le flot d’information que Tu contrôles et ceux que tu noies… Et puis y a ces rencontres qui nous traversent à n’importe quel carrefour, quand on ne s’y attend plus. À l’endroit le plus improbable de la Terre, nous permettent à nouveau d’y croire… La magie des rencontres, comme disait l’autre.

Cela doit bien faire des années que je n’écris plus. Que j’ai abandonné ma plume et mon clavier. Que j’enchaîne les médiocrités civiles, en laissant à d’autres le soin d’avancer. Pourtant, aujourd’hui, je me suis engagé sur une voie qui me plaît tant. Celle où je peux communiquer toutes sortes d’émotions, toutes sortes de savoirs. Celle qui regroupe tout ce que je suis capable de faire, en restant entièrement ce que je suis. L’écriture exige discipline. Une rigueur que je ne me suis pas imposé depuis longtemps. Depuis que The National a remplacé Sigur Ros, que les rues que je fréquente ne sont plus excentrées. Mais la destination est toujours la même. L’inconnu. La découverte. Une vie pleine de sérendipité, nécessaire pour ne pas sentir l’inutilité de nos petits êtres, face à ce grand vide à remplir d’espoir.

Et y a ce son de l’eau coulant comme le temps, et ces jeunes insouciants qui vont prendre une nouvelle bière…

Assis ce soir à cette fontaine, les souvenirs me sont revenus. Ainsi que la force d’assumer le passé à nouveau, et de recommencer. Encore.

Pas de commentaires

  • Répondre mars 2, 2013

    Sihem Mebarki

    Je te remercie pour ces quelques mots sur les raisons de ton retour… on ne réalise souvent pas que notre vie a un sens et que chaque évènement qu’on traverse nous apprend à aller de l’avant, l’émotion que l’on ressens à l’instant T peut nous détruire ou au contraire nous donner la force d’avancer et finalement c’est un jeu avec notre petite tête qui va nous révéler … avec un peu de recul, on se posant les bonnes questions (ouai bon souvent ça commence par des regrets, des lamentations et des et si …) mais fort heureusement on arrive à se poser et prendre les choses comme elles viennent. On ne peut pas dire qu’on manque d’arguments pour avancer au quotidien, croire en nos capacités à réunir tout ces enseignements pour en faire quelque chose et bien c’est « le défi » à relever !… je ne vais pas m’étendre là dessus mais je tenais à saluer ta démarche, la revue, tes chroniques et cette page qui m’a particulièrement touché … la vie, l’émotion et les enseignements … avance et retient ce qu’il faut retenir tel est ma façon de voir les choses …« Chaque instant est bonheur à qui est capable de le voir comme tel. »

    • Répondre mars 2, 2013

      revuedestress

      Je suis touché par ton message! Tu as très bien compris le message que j’essaye éventuellement de faire passer, et j’en suis heureux!
      Même si aujourd’hui on ne se rend pas compte de se qu’on peut tirer d’une expérience, elle réapparaîtra toujours un jour ou l’autre, et on comprendra son sens.
      A très vite sur ce blog ou sur le Facebook!
      I.

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