But I won’t follow you Into the rabbit hole,
I said I would But then I saw The ship of woes,
They didn’t want me to
It’s a terrible love And I’m walking with spiders…
The National, Terrible Love
Ma chère Amie,
Oui, cela fait un bail. J’admets, j’accepte, j’assume. Et pourtant, aujourd’hui, c’est deux choses qui m’ont fait repenser à toi.
D’abord, Sine Wave de Mogwai dans le métro, par hasard. De manière insolite, inattendue, dans un lieu imprévu. Un chauffeur tabassé, une grève surprise, des déviations insoupçonnées. Le quotidien ne tient à rien, parfois. Cette chanson, et le flot de souvenirs m’envahit d’un coup. Ça fait quelque temps que je pense à toi, sans le savoir. Sans poser de nom sur ce spectre qui me suit. Un peu comme un objet qu’on aurait retrouvé et qui appartenait à un être cher disparu. Au fond, on sait très bien d’où provient ce reliquat de bonheur antérieur… mais personne n’osera prononcer son prénom. Il flottera, indiciblement… jusqu’au jour où un étranger demandera de la manière la plus innocente qui soit « c’est à qui cette saloperie » ? Pour moi, cet étranger, ce message secret, ce matin, c’était le métro 8. En fait, non. Le métro 8 a été le messager.
Cet étranger, c’est Alexis Tsipras. Ouais, il est loin (le rapport entre les deux également!). Mais depuis quelque temps, quand je le vois, lui, le renouveau, la « renaissance » du peuple grec, je suis fier. Fier qu’il soit encore possible de se relever. Ce pays, ces gens, vivent sous le joug de dettes immatérielles dont ils ne sont pour la majorité non concernés.
Et malgré le poids de ce vieux continent, qui, en utilisant un urbanisme fonctionnaliste digne d’une psychogéographie des plus primaires, essaye de lui soutirer pièce rouge par pièce rouge une somme qu’un esprit humain ne peut littéralement pas imaginer (essaye de te représenter 321.000.000.000 d’€. Alors? Ok. Des questions?)
Et c’est qui qui à la mémoire courte dans tout ça? L’ensemble du peuple grec, qui, mal dirigé il y a une dizaine d’années, a laissé les dépenses s’emballer? L’Europe qui, prise d’une boulimie démesurée, a préféré ériger ses remparts de pseudocolonialiste au lieu de vérifier la bonne tenue des comptes grecs? Ou même l’Allemagne, qui non seulement s’est vu prêtés des millions de reichsmarks par une Grèce occupée, n’a jamais remboursée les 7 milliards de dollars d’amende imposé à titre de réparation pour l’occupation, mais en plus à qui on a accordé en 1953 une réduction colossale de sa dette… Qui lui a permis d’être le cœur de l’Europe aujourd’hui.
Tu vois, ma belle amie, je t’ai supprimé de ma vie, harassé sous le poids de ton existence et de ce que tu me faisais vivre. Et c’est en voyant cette Elpis grecque, belle comme une Athéna de Michel Ange, que je me suis rendu compte que tu me manquais. Et que ton retour était inéluctable, si je voulais à nouveau être utile.
Mais ce n’est pas tout.
Il y a eu ce covoiturage, ce soir. J’aurais aimé que tu sois là, ma chère (ex-) compagne, on aurait rigolé comme à l’époque où nous finissions nos nuits dans le caniveau. Tu ne vas pas y croire: J’avais une catholique et un musulman à l’arrière, qui se sont entendus comme des coqs en pâte! Deux heures à discuter entre eux de Nietzsche, de l’impossible rapprochement des peuples à cause des conflits culturels et religieux inventés de toutes pièces par les agnostiques, de « l’irrespect historique » dont a fait preuve Ridley Scott dans Gods & Exodus… Oui oui!! « Irrespect HISTORIQUE » concernant l’une des plus influentes légendes urbaines de l’humanité! Hallucinant non ?
Alors je me suis rappelé cette fois-là, à Alger, un peu bourré un peu fumé avec Frérot, en rentrant tard la nuit (ou tôt le matin). D’un coup, on voyait tous ces gens qui sortaient de la mosquée du centre, après L’avoir remercié d’être en vie, un jour de plus. Ce vieux à la barbe poivre et sel nous alpagua pour discuter, où on était et pourquoi nous ne sommes pas venus Le glorifier également, toussa. C’est vrai que Frérot avec sa fausse barbe qui ne pousse pas et moi et mes bagues et mes bracelets, n’y avait pas de quoi être mega vertueux. Et pourtant, sans l’aspect moraliste qu’on leur prête habituellement, qui plus est dans un pays musulman, on avait discuté. De sa foi, de son plaisir à venir chaque jour avant l’aube se purifier et montrer sa reconnaissance du cadeau qu’Il lui a fait, avant de rentrer serein. Aucune morale, aucun jugement dans ce qu’il nous partagea. On discuta longuement sous la rosée du matin et le lever du soleil.
Et aujourd’hui, tu as vu où on en est? Oui, à se tirer dans les pattes (et pas que), pour montrer sa supériorité théologique. Le tout adoubé par la bien-pensance politico-sociétale.
Depuis 3 semaines (putain, déjà 3 semaines que le peuple s’est réveillé sur l’horreur du monde qui frappe enfin à sa porte), je n’entends que racisme et antisémitisme à la bouche de tous les décideurs. Et l’islamophobie, elle ne rentre pas dans la case « A contrer d’urgence »? Pourquoi sanctionner plus durement les actes « antisémites », sans prononcer une seule fois ce que vivent les musulmans au quotidien ?
Il n’y a qu’à prendre le discours de Manuel Valls au Sénat le 13 janvier 2015. Antisémitisme: mot prononcé 8 fois, racisme 2 fois, islamophobie: 0. Alors que le nombre d’actes islamophobes de 2015 a (déjà!) largement dépassé ceux de 2014.
Pourquoi un traitement différent? Pourquoi une telle séparation de la « violence communautaire » en ces temps « glorieux » d’Unité nationale, de générosité sans limites et de bond historique de popularité dans les sondages? Comme quoi, il suffit de faire ton boulot une fois en 5 ans pour t’assurer de reconduire ton CDD.
Tu crois qu’on s’en sortira? Dis, même si je me suis fourvoyé en arguant mon mépris de toi et ton inutilité dans ma vie, chère Mélancolie, tu serais prête à m’écouter de nouveau? Je sais que je n’ai pas de raison valable, et j’ai trop de fierté et d’orgueil pour chercher à me faire pardonner. Je pensais (à tort) pouvoir m’en sortir seul.
A alterner les uniformes, de celui de la neutralité rouge à celui de l’éthique bleu-blanc-rouge, j’ai cru que je ne faillirai pas. À chercher l’absolution du passé, et tenter de fuir notre misérable impuissance des maux de ce monde, des cancers qui nous rongent au propre comme au figuré.
Et pourtant, et pourtant, me voilà de nouveau. À te demander d’effacer mes sourires devenus trop sincères, à reprendre ma fatigue devenue éreintante, et me rendre la force de relayer ton message partout où il le faut…
Je pense à toi, Il fait froid ces temps-ci, les bars sont pleins à craquer… Les étoiles brillent encore pour tous, mais désolé, tout le monde préfère le Grand Journal à la télé.
Alors veux tu que je te dise, je prends ce que tu donneras,
la pierre est précieuse et magique maintenant je sais que tu es là
d’antennes en satellites autour des météores,
je peux puiser dans ton calice, je peux creuser dans ta mine d’or
et sois au rendez-vous.
Détroit, Ma Muse