Les vieux se mettent parfois dans une colère noire contre les jeunes : « Bon sang, j’ai travaillé DUR toute ma vie ! Les jeunes veulent tout pour RIEN ! ils s’abîment la santé avec la drogue, ils s’imaginent qu’ils vont suivre sans se salir les mains ! » Puis tu LE regardes : Amen.
Il est seulement jaloux. Il s’est fait enculer, on lui a piqué ses plus belles années. Il meurt d’envie de baiser. S’il tient jusqu’au bout. Mais il peut plus. Donc, maintenant, il veut que les jeunes souffrent comme il a souffert.
dans Nouveaux Contes de la folie ordinaire, 1967
Je ne sais pas ce qui me donne envie de parler de mon cher Charles Hank Bukowski. Peut-être d’être tombé par hasard sur un vieil épisode de sa descendance, Californication. Ou peut-être, car est sorti le mercredi 11 mars 2015 aux Éditions Grasset un nouveau recueil de chroniques, cachées depuis 20 ans avec la mort du grand Patron.
Pris pour l’imposteur number one par les littéraires classiques, il EST, pour résumer simplement, LE Hank Moody de la série : cru, spontané, mélancolique, rêveur, trash, obsédé, alcoolo… Il est. Tout simplement. Toi, moi, eux… Tous ces visages humains, pleins de splendeurs et de déviances.
Le personnage récurrent de ses livres, ombre de lui-même, vit au jour le jour. Va là où le vent le porte. Subit plus qu’il ne vit des aventures incroyables dans des hôtels minables, des parcs improbables, des soirées inimaginables. Et rencontre des hommes étranges, des femmes d’un soir, des belles, des moches, des faciles, des mortes… avec toujours en main une bouteille de vin français.
Bukowski, c’est l’art de n’avoir aucune autre attache que celle de la bouteille, et d’avoir pour seul foyer le bar le plus proche de son motel…
Il y a de bonnes raisons d’interdire le LSD, le DMT, le STP, on peut bousiller définitivement sa tête avec, mais pas plus qu’au ramassage des betteraves ou en bossant à la chaîne chez General Motors, en faisant la plonge ou en enseignant l’anglais dans une fac.
Pourquoi un tel succès, lui qui ne vivait que pour être l’antiaméricain par excellence ? Conchiant les soldats au front, les politiques inutiles, le travail à la chaine… Buk, c’est le tonton que l’on voudrait tous avoir, c’est la liberté que l’instinct de chacun aspire un jour à toucher du doigt, sans jamais oser.
En ces temps obscurs, où société rime avec monopole financier et liberté flirte avec poings liés, Charles montre l’homme, au naturel, dans tous ses paradoxes, vivant non pas pour son lendemain, son chien ou sa retraite, mais pour son présent, ses besoins immédiats. Sur fond de guerre froide, il enchaine les jobs rémunérés à la journée, les chambres payées à la semaine, les villes nouvelles tous les mois… Sans espoir, sans épargne, le but est d’écouter de la musique classique et sirotant une bouteille. Et cette vie recommence. Continuellement. Le vieux dégueulasse a tout vu, a tout vécu. Et aujourd’hui, nous, qu’est-ce qu’on fait ?? Qu’est-ce qu’on connait du monde ?? À galérer pour le chèque en fin de mois, entre les ptits boulots pour se retrouver au chômage, la peur d’un avenir incertain, les portables derniers cris et la publicité partout, toujours, qui dicte nos baskets, notre voiture, notre boisson préférée et pour qui on doit voter.
Il avait compris, alors que ce n’était que le début de l’interventionnisme chez à USA post-WW1. Compris que tout n’était faux, et il s’était fait une raison. Et c’était ça son moteur : « La politique c’est l’art d’enculer les mouches. Alors maintenant, oubliez-moi, chers lecteurs, je retourne aux putes, aux bourrins et au scotch, pendant qu’il est encore temps. Si j’y risque autant ma peau, il me paraît moins grave de causer sa propre mort que celle des autres, qu’on nous sert enrobée de baratin sur la Liberté, la Démocratie et l’Humanité, et tout un tas de merdes. P’têt ben qu’oui, p’têt ben qu’non… »
Cela me rappelle l’une des phrases de Hank Moody qui m’avait le plus fait marrer des 6 saisons tout entières. Du Bukowski craché, qui au-delà d’une vulgarité primaire cache un état d’esprit subversif inadéquat, intemporel, déphasé avec la société contemporaine dans laquelle on vit malgré soi. A la question « Comment tu te sens ?« , il répond le plus naturellement du monde:
Ben comme tu demandes, voilà : Je me sens comme si le Seigneur m’avait pris dans ses mains, m’allongé sur un lit de clous rouillés, bloqué mes chevilles aux oreilles, et me l’enfonçait. Sans vaseline, sans lubrifiant, sans rien. Même pas un p’tit crachat. Ce con a pris son casque de Dark Vador, le grand casque de Vador et a défoncé mon entrée.Il m’a défoncé mon joli petit trou du cul de vierge. Mon petit bouton de fleur marron. S’est retiré, a craché sur mes nichons, a essuyé sa bite sur les rideaux, et m’a laissé pour mort.C’est juste pour moi ça. Et vous alors ? Comment ça va ?
Mais laissons-les s’entretuer les vieux. Ne les laissons pas nous prendre ce qui nous appartient, c’est-à-dire notre jeunesse, notre vie, notre liberté, nos coups d’un soir, nos beuveries dans des parcs, l’expérience qui fera que dans 30 ans on aura assez vécu et on laissera la place à nos enfants, dans un monde espérons moins crade que celui que nous laisse nos parents…
Bukowski, c’est l’ode à la liberté, dans tous les sens du terme, la liberté de ton, la liberté de vie, la liberté d’aimer être seul et d’aimer la vie…
Et puis d’ailleurs, il faut que je rentre. Tu veux m’accompagner ? Non, tant pis. J’ai poussé mon coup de gueule, je prends le fond de la bouteille de rouge, je sors de ce bistrot aux odeurs puantes, et je vais dormir un peu sur ce banc-là devant.
Demain est un autre jour, et comme je l’ai fait hier et que je le ferais probablement après demain, je monterai dans le premier bus, prendrai une nouvelle route, une nouvelle vie, m’installerai dans cet inconnu qui ne pourra pas être pire qu’ici, cet inconnu qui représente l’espoir…
Car c’est aussi ça Hank… L’espoir… L’espoir dans tout ce qu’il représente ; celui de l’inconnu, d’un lendemain meilleur, des rencontres éphémères mais bouleversantes à l’éternel…
Car c’est aussi ça Bukowski… L’espoir qu’un jour, on sera juste heureux avec le peu que l’on a…
En attendant, je sors de chez moi, je vais à la librairie du coin chopper « Un carnet taché de vin », tombé du ciel comme un message d’espoir d’outre-tombe…
Que peut faire un poète sans souffrance ? Il a autant besoin d’elle que d’une machine à écrire. La solitude me nourrit, sans elle je suis comme un autre privé de nourriture et d’eau. Chaque jour sans solitude m’affaiblit. Je ne tire pas de vanité de ma solitude; mais j’en suis tributaire.
marie
C’est un très bel article. Faut que je lise Bukowsky su coup….
revuedestress
Bukow-ciel? :p
BOUCETHA
Article très intéressant et très biez écrit